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Transports et développement durable par Jean-Pierre Estival
CONSIDÉRATIONS SUR LE LIVRE VERT DE LA COMMISSION SUR
LE RESEAU INTERMODAL RTE-T
A) IL EST NECESSAIRE DE »REVISITER »
LES HYPOTHĖSES MACROÉCONOMIQUES QUI SOUS-TENDENT LE PROJET ACTUEL DES RTE -T ET D’EN TIRER LES CONSÉQUENCES
Avant d’entrer dans l’examen des propositions techniques de la Commission, il me semble indispensable de revisiter les fondements macroéconomiques qui sous-tendent le projet RTE-T
Celui-ci a été élaboré dans l’euphorie d’une croissance européenne, ‘’tirée » aussi bien par la croissance allemande que britannique- entre autres- et sur fond d’une expansion du commerce international jamais égalée auparavant. Ces fondements ne sont plus.
Cette croissance généreuse, qu’on croyait pérenne, s’est effondrée tout à coup suite à la crise des ‘’subprimes ‘’et à la crise mondiale qui a suivi. Certes, l’Europe sortira de cette crise, même si aucun économiste ne peut aujourd’hui en déterminer le moment et les modalités, selon divers scenarii optimistes ou pessimistes (ou très pessimistes comme ceux de l’école des ‘’Dooms’ boys ») qui ont cours aujourd’hui. Ce qu’on peut pourtant prévoir, sans peur de se tromper beaucoup, c’est que la future croissance en Europe comportera des caractéristiques structurelles différentes de celles des années antérieures à 2008, et ce, pour au moins deux raisons :
1) Il y a peu de chances que le commerce international retrouve l’étiage qu’il avait avant la crise: trois raisons expliquent ce pronostic
a) la Chine, et avec elle, les autres pays du Sud Est asiatique sont en train de modifier leur moteur de croissance en donnant désormais la priorité à l’essor de la demande domestique – principalement la consommation des ménages, déprimée jusqu’ici- au détriment du rôle majeur joué jusqu’à présent par le commerce extérieur. Il s’ensuivra inéluctablement une contraction drastique de leurs exportations vers le reste du monde, et par là , une contraction du commerce international
b) les Etats-Unis sont condamnés à alléger l’effroyable endettement public et privé qu’ils ont créé au cours des dernières années, lequel, en termes de pourcentage de PIB, atteint désormais des sommets inégalés. Ils vont être contraints de donner naissance à une épargne domestique vertueuse (inexistante jusqu’ici, l’épargne utilisée ayant été constamment ‘’importée »), ce qui va diminuer la consommation domestique, qui ne sera plus basée sur l’endettement mais sur le revenu réel des ménages. Cette »révolution » est en marche. La consommation réelle des ménages américains est condamnée à diminuer donc en termes réels, et par là, le niveau des importations, à commencer par celles provenant de Chine. Cette nouvelle distorsion structurelle dans la composition de la croissance aura aussi un effet dissuasif sur le volume du commerce international
c) l’Allemagne qui avait fait, elle aussi, de son commerce extérieur, le moteur de sa croissance, est en train de réfléchir à un nouveau type de croissance plus stable dans laquelle la demande intérieure aurait désormais un rôle plus important au détriment de la composante extérieure
Tous ces facteurs structurels auront un effet négatif sur le commerce mondial
2) Indépendamment de la crise mondiale, en raison de la prise en considération inéluctable de réserves désormais limitées en matière de ressources énergétiques non renouvelables, et surtout de matières premières, la croissance mondiale est condamnée à être de plus en plus qualitative et non quantitative , comme le ‘’Club de Rome » l’avait déjà annoncé dans les années 1970. Le monde n’a plus d’autres choix. Cette croissance qualitative reposera inéluctablement sur la croissance des secteurs de services au détriment du secteur industriel. Or, la production ‘’immatérielle » ne se ‘’transporte‘’ pas et cette évolution aura un impact inéluctable, non seulement sur la structure de la nouvelle croissance, mais aussi sur celle du potentiel transportable, tous modes confondus.
En conséquence, le jeu combiné des facteurs ci-dessus explicités (jouant en synergie) ne peuvent que conforter l’idée d’une décélération de la croissance du potentiel transportable au nouveau des grands pays et particulièrement au niveau de l’Union Européenne. Peut-être, peut-on imaginer même une stabilisation de ce potentiel transportable, dans le cadre d’un scenario pessimiste.
Ces évolutions inévitables s’avèrent réalistes et ne prennent pourtant pas en compte, l’hypothèse possible encore plus prégnante d‘une accélération d’un certain protectionnisme dit ‘’masqué ‘’et ‘’ciblé », voire qualifié d »’intelligent » au niveau des nations. Ces évolutions, malgré les vœux pieux des chefs d’Etat lors de la conférence du G 20 de Londres, ne sont pas improbables. Certains spécialistes ont déjà parlé d’un phénomène de »démondialisation ». Nous n’en tiendrons pas compte. Il est clair que si ce phénomène devait s’accélérer, il contribuerait à affaiblir encore plus le niveau du commerce international. Le potentiel transportable international en serait alors plus affecté. Nous savons que ce commerce mondial a chuté déjà de l’ordre dec10% en 2009.
Compte tenu de ces nouvelles considérations, il convient de » revisiter » les hypothèses macroéconomiques de croissance européenne pour les vingt prochaines années, et par là, et nécessairement, celles du potentiel transportable »raisonnable » auquel notre continent sera confronté.
Les hypothèses de croissance économique et de potentiel transportable optimistes prises en compte par tous les modèles économétriques antérieurs, qui ont justifié la taille et la consistance du projet actuel de réseau RTE-T, sont donc à revoir pour toutes ces raisons.
Ceci est d’autant plus nécessaire que tous les modèles économétriques ont tendance à amplifier la croissance des trafics. Ce biais endogène est bien connu et ses effets s’ajoutent aux effets précédents. Ainsi, il est connu que les prévisions théoriques du trafic d’EUROTUNNEL ont été considérablement surfaites, ce qui a été à l’origine, non seulement des malheurs financiers d’Eurotunnel, mais aussi des débuts financièrement difficiles d’EUROSTAR, et de la création d’une pléthore de sillons non utilisés, même si la situation se résorbe peu à peu. Il en a été de même des prévisions de trafic de la LGV NORD et à la LGV OUEST en France, qui ont peiné à trouver une rentabilité acceptable. Il ne faudrait pas croire que cette propension à sur dimensionner les besoins soit propre à l’infrastructure ferroviaire. L’infrastructure routière a connu les mêmes travers et, à condition de chercher un peu, il n’est pas difficile de trouver des exemples d’infrastructures routières nouvelles qui ne fonctionnent à pleine capacité qu’à certaines périodes de l’année.
Un nouveau schéma intermodal européen devrait en résulter, plus réaliste, plus conforme aux nouvelles réalités économiques, et donc aux attentes intermodales des acteurs économiques européens. A l’heure où tous les Etats affichent une absence de ressources financières et des déficits budgétaires vertigineux, il serait inconvenant de leur faire financer un réseau RTE-T intermodal surdimensionné. Quant aux possibilités d’accompagnement du budget de l’UE- fixé à 1% du PIB global de l’ensemble des Etats- il n’est malheureusement pas à la hauteur des défis financiers.
Les »projets prioritaires’, qui doivent se transformer en ‘’réseaux prioritaires » doivent être par essence européens et obéir à une gestion et à un cahier des charges européens. Force est de remarquer que cela a été rarement le cas dans le passé. Les projets prioritaires ont été pour l’essentiel la juxtaposition de projets nationaux transfrontaliers, chaque pays organisant son infrastructure selon ses propres conceptions et errements. On en arrive lors à des dysfonctionnements, voire à des aberrations. Il est patent, par exemple, que sur la LGV EST EUROPE, reliant FRANCFORT à PARIS-EST, les ICE allemands, sur le tronçon français de la LGV ne font qu’accumuler problèmes et dégâts matériels. Un projet européen aurait vraisemblablement pu éviter ces désagréments. Or c’est sur ce type de schéma que la plupart des futurs réseaux européens ont été conçus. Un maitre d’ouvrage européen, à défaut de maitre d’œuvre, serait un avantage. L’UE doit aller dans cette direction et se donner les moyens techniques de ses ambitions.
Dans un tel contexte, les projets nationaux ne peuvent venir qu’en appui des précédents projets et doivent se plier aux paramètres et aux critères de ces derniers. Jusqu’à maintenant cela a été rarement le cas.
B) UNE RECONDUCTION A LA BAISSE DE LA TAILLE ET DE LA CONSISTANCE DU RESEAU RTE -T DEVRAIT FACILITER LES CONDITIONS DE FINANCEMENT DE CES PROJETS
En effet la situation dramatique dans lesquelles se trouvent aujourd’hui les finances de tous les pays de l’Europe et l’exigüité des fonds de l’Union Européenne ne peuvent qu’encourager la reconsidération de ce plan ambitieux conçu à une autre époque de notre Histoire et selon des paramètres économiques antérieurs à la crise grave actuelle.
Certes, s’il ne faut pas négliger le recours au cofinancement remis à la mode sous la forme des PPP, il ne faut pas attendre non plus que les fonds privés suppléent l’insuffisance chronique et structurelle de fonds publics. Tout d’abord, les grands organismes financiers ont été eux aussi fortement ébranlés par la crise et leurs ressources de financement, à l’issue de la crise, seront sans commune mesure à celles dont ils bénéficiaient avant cette dernière. Par ailleurs, s’agissant de projets à long terme, à plus de vingt ans, on peut comprendre que les capitaux privés rechignent à s’aventurer à si longue échéance, sans prendre un certain nombre de garanties, alors que tant d’inconnues économiques et politiques existent dans notre monde, sans parler des potentialités de conflits à caractère géopolitique, y compris en Europe, dont les différends gaziers avec la Russie ou la guerre latente en Caucasie ne sont que des épiphénomènes.
C) MÊME RECONSIDÉRÉ, LE NOUVEAU SCHÉMA RTE-T MULTIMODAL DEVRAIT OBÉIR A TROIS CONDITIONS
- le respect des nouvelles normes écologiques et environnementales tant dans le domaine des infrastructures que dans celui des ‘’mobiles » les empruntant ( cf voiture électrique)
- une coordination plus affirmée entre la route, le rail et les voies navigables et maritimes. Les ‘’forces de marché » sur lesquelles reposaient les anciennes politiques de transport (que l’on pourrait résumer sous la forme lapidaire ‘’que le meilleur gagne ») semblent s’être effondrées en tant que référentiel avec la crise actuelle. Il faudra y substituer une politique plus volontariste répondant tant aux besoins économiques qu’écologiques. Elle devrait être plus une politique de complémentarité que d’affrontement. Tout reste à faire dans ce domaine
- cette nouvelle stratégie en matière de politique de transports devrait imposer une égalité réelle des conditions de concurrence, en matière notamment (mais pas exclusivement) ‘’d'internationalisation des coûts externes‘’. Il faudra passer des vœux pieux à l’application concrète, sachant toutefois que ce n’est pas en temps de crise que ce problème se résoudra et qu’il faudra parvenir à un solution progressive par étapes successives .
Jean-Pierre ESTIVAL
Ex Chef de Département à la SNCF
Président Européen d’Honneur de l’AEC
Docteur d’Etat es Sciences Economiques
Chargé de cours à l’Université de Cergy Pontoise
Expert international en matière de transports